Hyvästi Suomi!

- Finlande

Au revoir la Finlande. Il me reste un peu moins de deux semaines avant de partir de Finlande, après bientôt six mois de séjour à l'autre bout de l'Europe. C'est avec une certaine tristesse – mais aussi un profond sentiment de satisfaction – que je reviendrai sur le sol français le 23 juin. Les derniers mois ont vraiment été magique et je voulais profiter de ma matinée pour dresser un petit bilan de cette parenthèse de vie passée au pôle nord.

Six mois ce n'est vraiment pas long (hélas, on ne le comprend qu'à la fin). Pour autant, pour une année covidée, j'ai eu la chance d'avoir fait plein de trucs. Entre petits voyages touristiques et vie quotidienne finlandaise, je pense avoir compris ce que c"est de vivre en Finlande et c'était très marrant. Je ne cache pas ma joie de retrouver mes habitudes françaises, même si le cadre de vie finlandais est particulièrement agréable. J'ai essayé de diviser ce billet en différentes partie qui aborde chacune un aspect général de la Finlande. Après avoir mieux expliquée ma vie quotidienne, je vais m'étendre sur la Finlande en général, puis enfin ce que ce séjour m'a apporté personnellement. Accrochez-vous, ça promet d'être chiant !

J'ai déjà bien décrit ma vie quotidienne dans ce précédent billet, je vais pas me répéter. En revanche, je l'avais écrit quand il faisait très froid et obscure. Depuis, tout à changer : la neige, le froid et la nuit n'existe tout simplement plus. Car c'est sans doute ça le plus incroyable à vivre en Finlande (a fortiori dans mon tout petit bled perdu au milieu des lacs) : la nature et ses transformations saisonnières. Il y a même pas 5 mois, je sortais dehors sous -28°C  entouré d'un mètre de neige et plongé dans la nuit dès 15h. Aujourd'hui, je sors dehors sous +28°C entouré d'une armée de moustiques et sans jamais observé une once d'obscurité. Je ne suis pas au dessus du cercle polaire donc je n'ai pas de soleil de minuit, en revanche le soleil éclaire le ciel sans arrêt pendant 24h.

Et vivre l'été en Finlande est juste exceptionnelle. Je crois sincèrement que l'été est bien plus fun que l'hiver. Bien sûr l'hiver est ouf, surtout quand on vient d'une région où la neige n'existe presque pas. C'était incroyable d'arriver tout d'un coup en pleine forêt recouverte de neige, incapable de rester plus de 20min dehors sans que la peau brûle. Mais dès que la neige fond, dès que la chaleur arrive, la forêt reprend toutes ses couleurs et on semble voyager à l'autre bout du globe en restant immobile. Si ça vous titille de voir à quoi ça ressemble, jetez un oeil aux photos que j'ai publié dans ce petit billet. Enfin bref, peut-être serait-il temps que je l'écrive ce bilan.

Vivre en finlandais

Ce qui est impossible en vrai. Je parle pas la langue, seulement les mots bonjour (moi), merci (kiitos), restaurant (ravintola), université (yliopisto), Finlande (Suomi), et je m'appelle César (minun nimi on César). Bref, je ne comprends toujours rien à ce que disent les gens ou ce qui est écrit sur la bouffe que j'achète, mais en vrai on s'en fout. Vivre en finlandais ne change pas vraiment de vivre en français, c'est juste beaucoup plus calme et on bouffe moins bien. Moi qui suit très anxieux, ces six mois m'ont permis de me détendre un max. J'ai dormi, j'ai pris (beaucoup) mon temps et j'ai appris à être patient. Je suis fin prêt à retrouver l'agitation urbaine et le stress de la France.

Ma vie quotidienne était très calme, rien d'exceptionnel, rien de stressant, rien de pressant. Je me réveillais toujours après 10h. J'avais en moyenne 3h de cours par jour et la charge de travail n'était vraiment pas insurmontable (juste longue à boucler). J'essayais de sortir au moins une fois par jour, mais je n'avais pas de problème à rester chez moi à surfer sur internet, coder ou lire des romans. Je suis d'ailleurs très heureux d'avoir développé mon goût pour la lecture de romans (alors qu'il y a un an je détestais ça). J'ai pu terminer six romans, dont cinq en anglais. Ok c'était de l'anglais facile mais quand même ! J'ai aussi fait plus de cuisine et appris à faire du pain. J'ai amélioré ma recette du gâteau au yaourt (oui c'est possible!!!!), réussi plusieurs tarte tatin,  mais raté pas mal de plats de résistance...

À propos de mes sorties en dehors de l'appart, à Joensuu le choix est limité tellement la ville est riquiqui. Malgré tout, ce fut un plaisir de profiter du restaurant universitaire (un repas complet à 2€, que demande le peuple?) et des merveilleux salons de thé dont seuls les finlandais ont le secret. Mais je n'ai pas que bouffé. J'ai aussi profité des pianos en libre service de la fac, de la bibliothèque municipale, du musée des beaux-arts, de l'orchestre symphonique de Joensuu, des bateaux-bars, des lacs et de la forêt. Big up aux services publics finlandais souvent imités jamais égalés. Tout ça c'était cool et c'était d'autant plus cool que ces six mois m'ont permis de partager mon quotidien aux côtés d'autres étudiants exceptionnels venant des 4 coins de l'Europe (et parfois d'autres continents).

Et j'aurai beau m'étendre pendant des heures sur ce que j'ai pu faire, le plus belle des choses que j'ai vécu reste quand même ce que j'ai vu. La nature me manquera, la taïga restera dans mon coeur à jamais. Les pins et bouleaux immenses qui s'élancent vers le ciel à perte de vue. Les odeurs de sève et de résine qui remplissent le nez et les poumons dès que la neige fond. La vert et le marron qui prend la place du blanc dès l'arrivée du printemps. Les lacs immenses et immobiles qui révèlent des paysages incroyables. Tout ça est difficile à décrire, il faut le voir pour l'apprécier. De toutes mes souvenirs, je garderai avec le plus grand soin celui-ci :  la taïga immense, silencieuse, magnifique.

Suomissa

En Finlande. Quel étrange pays. Si vide, si étendu, si liquide, si froid, si haut sur terre. Au premiers abords, on s'attend à d'autres choses de la part du pays le plus heureux du monde. En fait le secret du bonheur n'est pas très compliqué : il faut rester simple et avoir de l'empathie. Sans doute un peu cliché ce que je dis, pourtant ça colle pas trop mal à la réalité. Simple, car rien n'est vraiment exceptionnel en Finlande. Les villes sont petites, les gens sont peu extravagants. Rien d'exceptionnel dans la manière de s'occuper, de s'amuser ou de se défouler. Keep it simple serait un bon motto finlandais.

Ça c'est pour la simplicité, mais comme je dis plus haut c'est aussi une histoire d'empathie. Les finlandais sont respectueux et généreux. Il faut aimer et faire confiance aux autres pour consentir autant à ce système social. Jusqu'à la mort, les finlandais sont épaulés par la communauté. Parents, enfants, salariés, handicapés, malades, jeunes, vieux, tous peuvent compter sur l'aide des autres. Les finlandais peuvent aussi dormir tranquille, il n'y a pas de force obscure et puissante qui tente en loucedé de détruire des décennies d'acquis sociaux. Le tout fait consensus, les syndicats sont puissants, le capital se tient tranquille. Résultat, les risques de la vie ne sont pas source d'anxiété et ne nécessite pas de sacrifices individuels constants.

Une de mes plus grande crainte est de finir en quartier résidentiel avec un mari, un pavillon, des gosses, un labrador et un espace. En France en tout cas. Car ici, l'idée ne me dégoûte pas tant que ça. Je ne suis pas parent, je ne veux pas d'enfant, mais je pense sincèrement que pour adopter une vie pareille, vivre en Finlande est le meilleur plan. D'ailleurs, la Finlande est une société très familiale. Les gens passent beaucoup de temps chez eux et les relations de genre sont pas mal fondées sur un socle familial. Même si les inégalités de sexe sont faibles en Finlande, on est loin d'une subversion du genre. La division sociale entre hommes et femmes est toujours d'actualité et l'intégration toujours plus forte des femmes dans la sphère publique a réorganisé (et non pas supprimé) le patriarcat.

La Finlande a aussi ses étrangetés. La plus importante selon moi et le maintien du service militaire pour les garçons âgés de 18 ans. Je ne sais plus vraiment si j'en ai parlé mais tout ça est très surprenant. La raison d'un tel maintien est en revanche limpide : la Finlande est bordée par la Russie. Historiquement, les relations entre la Russie et la Finlande n'ont jamais été très amicales. Ancien duché de l'empire russe, la Finlande a gagné son indépendance en 1917. Pendant la seconde guerre mondiale, le peuple finlandais a un peu joué au con en voulant gruger du territoire soviétique. Même si la Finlande a bien tenu la « Guerre d'Hiver », elle a perdu du territoire et une bonne entente avec la Russie.

Pendant la guerre froide, la Finlande n'était pas sous domination soviétique. En revanche, son action géopolitique était fortement limitée aux intérêts de Moscou (le fameux phénomène de finlandisation).  Depuis, la Finlande n'a jamais cessé de se préparer à la guerre par peur que son immense voisin en viennent aux armes (pour n'importe quelle raison). Les Finlandais ne sont pas en conflit avec la Russie mais se tiennent prêt. La peur est d'autant plus grande que Poutine multiplie les provocations géopolitiques (en Biélorussie et en Ukraine notamment). Voilà pourquoi chaque garçon finlandais qui gagne ses 18 ans est appelé à faire son service militaire.

Je n'ai pas de doute que le service militaire est une composante importante dans la configuration des masculinités finlandaises. Il est aujourd'hui rare dans les pays occidentaux de toujours avoir une transition de vie aussi nette qu'un service militaire. Le service militaire est un passage obligé pour les hommes finlandais, ses écarts sont possibles mais rares. Rares car il légalement et socialement découragé de ne pas servir. La loi prévoie une assignation à résidence voire de la la prison pour les objecteurs et déserteurs. Pour ceux qui refusent de prendre les armes, deux choix s'offrent à eux : ne pas porter d'arme mais rester dans l'armée (autant vous dire qu'une part infime des conscrits font ce choix) ou faire un service civil deux fois plus long.

Socialement découragé car le service militaire conditionne l'appartenance à la masculinité dominante. À plusieurs reprises les finlandais m'ont avoué que les déserteurs, objecteurs et conscrits civils étaient stigmatisés et considérés comme des « pussies » ou des « females ». C'est pour ça que je parlais plus haut d'une reconfiguration du patriarcat : il n'est pas question en Finlande de se débarrasser  des normes de genre, mais bien de les transformer. L'égalité de revenus et d'opportunités entre les hommes et les femmes coexiste avec des institutions qui renforcent fortement les rôles de genre et la division entre les sexes. Je vais pas m'étendre plus sur tout cela, je souhaitais seulement montrer en quoi la société finlandaise renferme une complexité qui ne saute pas eux yeux au premiers abords.

Brefs, des étrangetés il y en a à la pelle. Les machins en métal partout dehors qui ne servent qu'à une chose : enlever la poussière des tapis. Les échelles présentes sur tous les immeubles et maisons pour accéder au toit rapidement. L'égouttoir-placard au dessus de chaque évier. Les SDFs qui ne récoltent pas les pièces des passants mais leurs cannettes car elles sont consignées. Les gosses qui se déplacent partout en ville seuls sur leurs petits vélos. Les cours de récréation ouvertes à tout le monde (y compris aux enfants) pour que chacun puisse profiter des jeux et équipement de sport quand les écoles sont fermées.  Le système de notation à la fac qui ne s'intéresse pas au résultat mais à l'investissement dans le travail. Les marquages au sol doublés de panneaux car en hiver les routes sont recouvertes de neige et de glace. Les double-portes et les double-fenêtres pour garantir un isolement au froid imbattable. Les scandales politiques qui éclatent parce qu'un·e élu·e a acheté un croissant avec sa carte bancaire institutionnelle. Les pistes cyclables qui doublent chacune des routes et qui profitent de ponts pour traverser les grands axes. Les vélos qui n'ont pas de plateau de vitesse car en hiver il fait tellement froid que le mécanisme se grippe en deux secondes. Les finlandais qui, en hiver, utilisent des luges pour transporter leurs courses et leur gosses. Se faire engueuler par des skieurs parce qu'on a confondu la piste de ski de fond avec le trottoir. L'alcool de plus de 5° introuvable en supermarché parce que sa distribution est nationalisée et disponible à un seul endroit : les magasins Alko. La double traduction finlandais-suédois même si personne ne parle suédois là où je réside (une traduction en russe serait beaucoup plus logique). Le coucher de soleil éternel en hiver. La nuit qui n'existe plus en été. Manger du reine (miam). Les balcons vitrés. La hauteurs des arbres. Et bien sûr, la beauté infinie des aurores boréales.

Bilan personnel

Je ne suis plus le même homme... Non je dis n'importe quoi. Je vais revenir peut-être plus apaisé, mais ça ne me prendra pas trop de temps avant que mes vieilles habitudes d'anxieux reviennent à grands pas. En revanche, il s'est passé des choses dans ma tête depuis que je suis parti, des petits trucs mais qui restent importants. Être si loin de mon chez moi m'a poussé à me poser pas mal de question et pour certaines j'ai trouvé des réponses !

Déjà, je pense être un peu plus humble qu'avant (même si dire ça n'est pas vraiment une preuve d'humilité). Sur un point précis : le Коммунизм (communisme). Avant j'avais tendance à relativiser l'horreur de l'URSS voire à vanter certains de ses aspects (en mode c'était parfois mieux avant). Je suis toujours curieux de savoir ce qui se passait en URSS, en revanche j'ai perdu l'engouement que j'avais aussi infime était-il. J'ai rencontré des tchèques, des russes, des polonais et entendre leur témoignage et celui de leurs parents m'a remis à ma place. Par exemple pour un de mes voisins tchèques, le communisme est « démoniaque » et on peut comprendre pourquoi. Pas de liberté, pas d'avenir, de la repression régulière, tout ça ne faisait pas rêver. Bien évidemment que leur subjectivité parle, mais face à un pauvre français qui se ramène en mode « le communisme est la solution à tous nos problèmes », je peux comprendre que ça peut être pris comme de l'arrogance.

La Finlande m'a aussi fait cogiter sur mon avenir ! Déjà je quitte la sociologie. En fait vers mai les admissions en master m'ont fait exploser, je voyais vraiment pas comment aller en master pouvait me rendre heureux, pouvait me motiver. En parallèle de mon erasmus (mais surtout depuis le premier confinement), j'ai repris la programmation et en fait je me suis dit que je serais plus heureux en informatique qu'en sciences sociales. J'ai adoré ma licence de sociologie parce que j'ai pu parler/écrire sur les questions sociales h24 pendant 3 ans (ce que je voulais le plus à la fin du lycée). Mais je ne veux pas en faire mon activité principale. Militer c'est vitale, mais le faire à travers une activité scientifique est seulement prise de tête.

Donc pas de master pour moi. L'année prochaine direction Saint-Denis pour commencer une licence d'informatique à Paris-8. Dans un super département, dans une super fac, avec de super profs, je vais rentrer directement en L2 et voir si ça me plaît plus que la sociologie. Si je termine cette licence, j'aurai le choix entre l'informatique, la sociologie... ou les deux! J'ai hâte de commencer, hâte de quitter la Normandie, hâte de changer de voie !!! Mon enthousiasme est d'autant plus grand que le département dans lequel je vais atterrir est bien à gauche (en général et surtout en informatique).

Voilà pour l'année prochaine. Pour le reste de ma vie, vivre à l'étranger m'a énormément plu et j'aimerais fortement repartir plus tard. Pour mes études ou pour d'autres raisons, j'aimerais continuer de vivre à l'étranger. Pour les rencontres, pour la découverte d'un nouveau mode de vie, de nouveaux paysages, de nouvelles cultures. Peut être en Erasmus (il me reste 6 mois en licence, 1 an en master) ou directement en master, je ne sais pas encore. Ça peut aussi être pour un stage, pour travailler, bref le champ des possibles est INFINI.

Dans tous les cas j'ai compris que je n'avais plus rien à foutre en Normandie. Caen me déprime, j'ai fait le tour de toutes les rues, de tous les bars, de toutes les personnes. Je veux plier bagages, vivre plus de choses, changer d'air. Je n'aime pas la mer, j'adore la forêt : la Normandie n'a pas de forêt, borde la mer. J'espère que la région parisienne ne sera pas une transition trop brutale (Carélie du Nord : 160 000 habitants, 7,5hab/km2; Île-de-France : 12 millions d'habitants, 1000hab/km2). Les côtés positifs sont que j'ai quelques amis là-bas, je suis pas très loin de la Normandie, je serai à Saint-Denis, une ville moins chère et plus petite que Paris.

Voilà pour le futur. Pour le présent, j'ai eu la chance d'améliorer grandement mon anglais; de m'être fait de supers amis; d'avoir eu des étoiles dans les yeux; d'avoir réussi à vivre longtemps loin de tout ce que je connaissais; de savoir que je peux survivre dans un environnement compliqué; que j'étais fait pour vivre en forêt; que je n'ai pas beaucoup d'attaches en Normandie; etc. etc. Bref, c'était une très jolie expérience que je renouvellerai sans problème. J'aime pas l'Europe pour la manière dont elle a pérennisé le néolibéralisme sur l'ensemble du continent, en revanche je suis très heureux qu'elle ait aussi été à l'origine du programme Erasmus+ et de l'espace Schengen.

A+ la Finlande 👋